BOUCAR DIOUF…

CE QUE JE DIRAIS À UN IMMIGRANT…

Avant de partir du Sénégal pour le Québec, en 1991, on m’avait parlé de choc culturel, de température, de liberté, d’ouverture, d’humour et de bien d’autres aspects de l’identité et de la culture des gens d’ici. Mais personne ne m’a informé de cette singulière relation que la majorité des Québécois entretiennent avec la religion. Pourtant, à mon avis, il est plus qu’important de mentionner aux gens qui veulent venir ici que s’expatrier au Québec n’est pas la même chose que de s’installer dans le reste du Canada. Le Québec a un rapport avec la religion, et l’égalité des sexes, que même l’Ouest du pays peine à comprendre. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler comment la mort du docteur Henry Morgentaler a endeuillé les gens d’ici alors que chez certains de nos voisins de l’Ouest, on entendait presque soupirer «bon débarras!»

Ce débat autour de la charte m’amène à penser que cet exercice est plus qu’indispensable. L’extrémisme religieux ne peut en aucun cas s’amalgamer avec la culture québécoise francophone. En fait, si je devais entretenir un candidat à l’immigration sur le sujet, je lui dirais ceci:

«Monsieur, avant de partir, vous devez savoir que depuis la désertion massive des églises, provoquée par la Révolution tranquille, les Québécois ont majoritairement un rapport particulier avec la religion. Le Québec afficherait peut-être même le plus haut taux de citoyens agnostiques en Amérique du Nord. Si bien qu’aujourd’hui, ce sont des missionnaires du Sud, principalement de l’Amérique latine et de l’Afrique, qui tentent timidement de rallumer la foi dans certaines contrées de la belle province.

«Autrefois très pieuse, cette nation est devenue le territoire des plus grands blasphémateurs de la galaxie. Ici, non content d’avoir transformé des églises en condos, on a aussi recyclé les accessoires liturgiques en autant de jurons et sacres qui rythment le langage populaire et font le bonheur des humoristes, qui sont les champions toutes catégories de la profanation religieuse sans distinction de cabale.

«Vous vous préparez à aller dans la nation la plus ouverte et pacifique de l’Amérique du Nord. Vous allez dans la nation où les femmes sont parmi les plus affirmées et égalitaristes du monde occidental; où la simple évocation de la droite religieuse provoque une crise générale d’urticaire; où le droit à l’avortement est un acquis non négociable; où les hommes ont droit à des congés de paternité; où le mariage n’est plus une institution sacrée et un couple sur deux divorce quand ça ne marche plus; où les adolescents, à la puberté, sont autorisés à s’embrasser et à se fréquenter; où gais et lesbiennes manifestent ostensiblement leur identité et ont le droit de se marier; où changer de sexe pour retrouver son homéostasie existentielle est aussi bien accepté.

«C’est toutes ces qualités qui font aussi du Québec, sans être parfait, une terre de liberté, d’ouverture et de tolérance, pour celui qui accepte de s’ouvrir. Si je vous raconte tout ça, c’est que certains de ces acquis sociaux très progressistes, qui cimentent fièrement notre identité collective, sont incompatibles avec une lecture rigoriste des dogmes religieux. Ce qui pourrait amener des extrémistes à nous regarder comme des représentants de Satan sur terre.

«Alors, monsieur, si, fort de toutes ces informations, vous n’avez aucune objection à ce qu’un jour vos enfants puissent fréquenter, embrasser, coucher et se marier avec les nôtres, c’est que vous êtes agnostique ou pratiquez votre religion de façon modérée. Donc, le Québec est une terre toute désignée pour vous.»

Oui, Fatima Houda-Pepin, vous avez raison de penser que les intégristes sont les véritables ennemis de la laïcité! Je rajouterai qu’ils sont aussi les ennemis de la grande majorité de croyants, à qui ils font beaucoup de tort par ricochet.

Boucar Diouf dans La Presse, 22 février 2014

L’INACTION N’EST PAS LA SOLUTION À L’INTÉGRISME

LE MINISTRE EST NU

Ce n’est nullement la fouille à nu qui a fait le tour de la planète, mais bien les commentaires de notre ministre de l’Éducation, Yves Bolduc. La fouille à nu n’aurait pas franchi tant de frontières sans l’intervention du ministre.

— Manon Reney

Pendant le pic de la crise du virus Ebola qui a frappé la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia, c’est le regard sur l’ensemble des Africains qui a un peu changé chez bien des gens.

Si bien que lorsque la proximité avec l’autre devenait inévitable, je cherchais souvent une façon humoristique de dissiper ce malaise injustifié, mais bien perceptible. Pourquoi les gens avaient-ils si peur d’Ebola ? Parce qu’il n’y a pas de vaccin ou de traitement homologué contre cette maladie.

C’est la même vulnérabilité qui explique cette psychose naissante face aux dérives de l’islamisme radical, qui pose de sérieux problèmes aux nations occidentales.

Si M. Couillard veut vraiment lutter efficacement contre l’islamophobie, de plus en plus ouverte au Québec, même un placebo serait plus approprié que cet enlisement dans une gymnastique proverbiale qui place les villes et les municipalités dans une fâcheuse position. Tenaillés entre les inquiétudes de leurs citoyens et l’obligation de respecter les libertés individuelles, les élus municipaux rivalisent d’improvisations qui risquent d’engendrer des cassures difficilement réparables.

Depuis quelques mois, le Parti libéral se cramponne à une rhétorique langagière, nous sermonnant de bien tracer la frontière entre intégrisme et terrorisme. Mais s’il est vrai que tous les intégristes ne sont pas des terroristes, tous les terroristes sont par contre des intégristes. Les discours et les assemblées intégristes sont les clubs-écoles où se singularisent les joueurs qui deviennent les recrues pour les ligues majeures du terrorisme international. De ce fait, les éléments déjà radicalisés ont beau être la priorité du gouvernement, il faudra inéluctablement s’attaquer aux coachs que sont ces prédicateurs qui haranguent les candidats potentiels en restant dans les limites de la protection des chartes.

ÉTABLIR LES PRIORITÉS

Il faudra aussi un jour établir une hiérarchie de priorités dans ces chartes qui veillent, dit-on, sur nos droits et libertés. Je trouve en effet illogique que les homosexuels soient protégés par le même bouclier qui permet à certains prêcheurs extrémistes de clamer en toute impunité leur mépris pour les gais. Est-ce que la liberté d’être extrême dans sa religion au point de prêcher la mise sous tutelle des femmes peut être un droit aussi sacré et fondamental que l’égalité entre les sexes ?

Les terroristes sont malheureusement en train de réussir leur plan machiavélique, qui a toujours été de compliquer la vie de la majorité musulmane pratiquante et sans histoire qui vit en Occident. Il faut leur barrer la route en ouvrant les canaux de communication à des musulmans laïques pour un travail de pédagogie sociale qui ne peut qu’être bénéfique pour le vivre ensemble.

Pourquoi ne pas réserver une partie de cette couverture médiatique démesurée, qui a fait passer l’imam Hamza Chaoui d’inconnu à superstar, pour donner écho au discours de ceux dont la parole rassemble plus qu’elle ne divise ?

Pour raccommoder le tissu social, les médias devraient manifester plus d’intérêt pour l’aiguille qui coud que pour le couteau qui tranche.

Devant les attentats meurtriers, mais aussi l’exagération médiatique de certains épiphénomènes, la population, apeurée à juste raison, commence à réclamer une chimiothérapie là où une petite chirurgie serait pour l’instant plus appropriée. L’éminent chirurgien qu’est M. Couillard sait aussi plus que quiconque que la chimio ne fait pas toujours la différence entre les méchantes cellules à combattre et toutes les bonnes cellules qui peuvent faussement leur ressembler.

Si on ne fait rien maintenant, de ce sujet très sérieux, il ne restera dans un avenir proche que des anecdotes et maladresses extrêmement gênantes. Un peu comme la performance des Pineault-Caron, qui donne envie de se cacher la tête dans le sable, a éclipsé les brillantes idées de tous ces penseurs et organismes venus défendre la laïcité pendant la commission parlementaire de la défunte charte du Parti québécois.

Boucar Diouf dans La Presse, 21 février 2015